mercredi 9 décembre 2009

IO SONO L’AMORE, Luca Guadagnino/Italie

Milan sous la neige, tons de blancs, gris, couleurs neutres elles-mêmes un peu passées… une atmosphère « années 60 », la typographie « Art Déco » du générique, la musique de John Adams, qui n’est pas sans évoquer, à cet instant, celle de Nino Rota…
C’est ainsi que débute le magnifique film de Luca Guadagnino...
Ce n’est que plus tard que l’on se rendra compte qu’il se déroule à présent, au 21ème siècle.
Tout est d’une autre époque, dans cette maison (aux tons gris, beiges, toujours), emplie de traditions, de bienséance, de l’ennui d’une vie trop prévisible… Le grand-père trône à sa place de patriarche, durant les repas de famille : « Je n’aime pas le changement », dit-il.

Le changement, ce sont les deux femmes, mère et fille, qui l’apporteront ; l’une et l’autre, parallèlement, transformée et modelée de l’intérieur par l’amour qui les polira, comme un cours d’eau souterrain polit la roche, dans une douce et infinie puissance, inexorable.
Chacune, de son côté, s’ouvre à la vie, à l’amour (d’une façon peu « conventionnelle » pour ce monde bourgeois qui est le leur…). C’est d’abord la mère qui ressentira la joie de voir sa fille heureuse et amoureuse (d’une autre femme) ; puis la fille qui permettra à sa mère, à la fin, de s’échapper, s’envoler, disparaître, pour aimer et vivre, se retrouver au centre d’elle-même et de son amour, comme dans cette grotte effleurée par l’or d’une lumière vacillante et éternelle.

« Io sono l’Amore »… L’on pourrait presque dire que ces mots, c’est la caméra qui les prononce, tant elle est l’ écho des émotions, des soubresauts, des étonnements, des émerveillements de l’amour ; elle se fait sensuelle, caressante, frôlant les peaux, les serrant de près, troublée parfois, tremblée quand le cœur d’Emma tressaute et s’emballe à la vue d’Antonio que la coïncidence place sur son chemin, à Nice… Dans l’amour, l’image vibre et sourd d’ondes telluriques, sous la puissance du plaisir et du soleil. L’amour, ici, est aussi simple et évident que l’été, que la profusion de fleurs, d’herbes, de senteurs, que l’air et la nature saturés de vie. L’amour, c’est les peaux qui redeviennent terre meuble, quand ce n’est plus seulement le soleil qui les colore, quand une main sur un sein redevient insecte sur une fleur.
(La musique tient une grande place également dans ce film, et accompagne le personnage principal, Emma, se faisant résonnance des typhons et mouvements intérieurs).

L’amour, c’est aussi, et bien sûr, la cuisine… Cuisine toute de délicatesse et de sensualité, de couleurs (Rouge des gambas accordés au rouge de la robe, le rouge de l’amour éclatant dans le cœur et les papilles d’Emma, lorsqu’elle se perd, au restaurant, dans la dégustation des délicieux mets préparés à son attention par Antonio…) ; le goût réveillé fait fleurir tous les autres sens… La joie dans la finesse et l’éclat de la succulente chère est la clé…

L’actrice Tilda Swinton (Emma) est incroyable. Apprêtée, stylée, impeccable et lisse au début du film, peu à peu son visage s’éclaire, mû par une joie trop longtemps oubliée, puis cerné par la passion et la violence des sentiments, il se défait de tout apprêt pour revenir à l’essentiel.
Image frappante et saisissante quand, épurée à l’extrême, le cheveu mouillé, taillée à la serpe par la douleur, statue anguleuse drapée de noire, elle devient l’archétype de la Tragédie.
C’est le moment où, une veste d’homme sur ses épaules, Emma dit sa vérité, son amour pour le jeune cuisinier. « Tu n’es rien!», rétorque son mari (« Tu n’existes plus pour moi ! », lui avait dit son fils avant la chute fatale). C’est au contraire à cet instant qu’elle Est le plus, à l’essence d’Elle-même.

Chaque plan de ce film est empreint d’une grande et délicate poésie, chaque cadrage est une œuvre d’art… Les jeux de lumières, d’ombres, de flous, de couleurs, sont une merveille (Très esthétiques images légèrement stylées « chromo 60’s» au début…)
Une formidable intelligence, sensibilité, transparaissent dans cette œuvre cinématographique d’une grande beauté.

Luca Guadagnino nous parle de son film avec humour, dans un anglais et français mâtinés d’un fort charmant accent palermois ; nous dit combien il souhaitait que la musique joue un rôle important, au même titre qu’un personnage principal du film (C’est cette musique de J. Adams qui inspira Tilda Swinton pour son rôle d’une grande intensité) ; sa grande admiration pour Paul Baucuse, qui lui dit un jour : « Si tu ne cuisines pas avec amour, pour ceux que tu aimes, tu ne feras pas quelque chose de bon. ».
Luca Guadagnino sait l’importance de l’art culinaire « qui est un art mineur, mais un grand art ! ». (Son film est lui-même tel un plat glacé, qui révèle un cœur fondant et chaud au fil de la dégustation…).
L’art de la cuisine dans son film, nous explique-t-il, est l’opposé du capitalisme (que souhaitent perpétuer les hommes de la famille). Emma, en développant à l’exquis ce goût de la cuisine, va vers quelque chose de plus humain.
Il nous conte ses débuts dans le cinéma ; quelqu’un lui avait dit : « Montre ton travail aux cinéastes qui t’ont précédé ; seuls les grands savent écouter, les petits n’écoutent pas ». Si l’on devait ne retenir qu’une phrase, ce serait celle là… Et il ne fait aucun doute que Luca Guadagnino est un grand.


Sarah Bouhallit
http://sadjael-bo.blogspot.com/

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